Les grillons chantent aux heures chaudes de l’été québécois, tissant un paysage sonore en perpétuelle mutation. Chaque individu possède son propre rythme, une structure singulière que l’on peut discerner en portant attention à un seul chant. Mais dès que ces rythmes s’entrelacent, ils génèrent des motifs polyrythmiques mouvants, oscillant entre stabilité et transformation. Ce jeu d’accumulations et de croisements fait émerger une trame rythmique qui ne se réduit à aucun de ses éléments isolés, mais qui naît précisément de leur interaction.
L’installation « Stridulations » rend hommage à cette polyrythmie vivante. Seize haut-parleurs diffusent chacun le chant d’un unique grillon. En s’approchant d’un haut-parleur, l’écoute se focalise sur la pulsation propre à un seul grillon; en s’éloignant, les sons se superposent et forment une trame sonore dense et hypnotique, où chaque motif individuel se fond dans un enchevêtrement plus vaste. L’espace d’écoute oscille alors entre la perception du détail et l’immersion dans l’ensemble.
Mais ce paysage sonore n’a pas été capté dans un champ ou une forêt. Chaque chant de grillon est une production synthétique, créée à l’aide de synthétiseurs virtuels qui reproduisent fidèlement les stridulations naturelles. Ce faisant, l’installation ne se contente pas d’imiter un écosystème sonore : elle le reconstruit artificiellement, révélant la manière dont un phénomène perçu comme naturel peut être reconstitué par des processus technologiques. Ainsi, l’authenticité de l’expérience ne tient pas à l’origine biologique du son, mais à la manière dont il est entendu et interprété.
Pour souligner les structures rythmiques émergentes, un dispositif lumineux accompagne le son : une lumière est placée au-dessus de chaque haut-parleur, s’activant en synchronie avec le chant qu’il émet. Lorsque l’installation est plongée dans l’obscurité, elle devient une partition vivante où les sons et les lumières s’entrelacent, donnant à voir autant qu’à entendre l’entrelacement des rythmes.
« Stridulations » questionne notre manière de percevoir le vivant en révélant la porosité entre le naturel et l’artificiel. En recréant un phénomène sonore que l’on associe spontanément à la nature, l’installation nous confronte à une forme de vie synthétique, où le rythme et l’organisation du son suffisent à évoquer une présence vivante.